Sexify – Saison 1

Un énorme « Fuck ! » adressé aux ultra-conservateurs polonais… mais pas que !

Sexify (stylisé Sex!fy) est une série polonaise disponible en français sur Netflix depuis fin avril 2021. Au moment où je rédige ces lignes, et pour ce que j’en sais, son statut est encore flou : j’étais persuadé qu’il s’agissait d’une mini-série, bouclée en 8 épisodes d’une cinquantaine de minutes maximum chacun, mais sa fin très ouverte et le flou entretenu par la plate-forme de streaming me laissent à penser qu’une seconde saison est tout à fait possible, sinon probable vu l’accueil critique très favorable qui lui a été réservé.

Présentée comme un show sexy et comme une comédie, Sexify est en fait considérablement plus que cela : c’est non seulement une ode à l’émancipation de la femme, à l’exploration de ses désirs, ses envies, c’est non seulement une jolie histoire d’amitié et d’amour, mais c’est aussi l’histoire de la libération d’une génération des carcans dans lesquels l’ont enfermée celle qui l’a précédée et la société du pays où l’histoire se déroule. Et celui-ci a une importance capitale : si Sexify avait été conçu et diffusé partout ailleurs, par exemple aux USA, voire en France, elle ne serait qu’une série vaguement sulfureuse de plus, bien que fort sympathique. Seulement voilà, c’est un show polonais, vous savez, ce pays de mes ancêtres, côté paternel, où l’église catholique reste toute-puissante, où la société est extrêmement prude et conservatrice, où le nationalisme est exacerbé et où l’étranger, même slave, blanc et chrétien, est vu d’un œil suspicieux. Inutile, donc, de dire qu’une série tournant entièrement autour du sexe, de l’orgasme féminin, de l’émancipation de trois jeunes femmes et réservant une place de choix, au niveau des rôles secondaires ou des figurants, à la diversité, où l’homosexualité, les drogues, la masturbation et même, horreur, le sexe avant le mariage sont au centre du propos ne peut constituer que le plus gros « FUCK » de toute l’histoire des séries (en tout cas polonaises) !

Base de l’intrigue, personnages, actrices

À moins d’être un fin connaisseur du cinéma / des séries polonaises, il est probable que le seul nom, dans le casting, qui vous évoque quelque chose (et encore…) soit celui de Malgorzata Foremniak, connue à l’international pour son rôle de Ash dans le film Avalon de Mamoru Oshii. L’honnêteté me force à dire que si je n’avais pas fait attention au nom de l’actrice, je ne l’aurais pas reconnue, tant son apparence est différente de celle qu’elle avait dans le film du japonais.

Sinon, les trois rôles principaux sont tenus par de jeunes actrices (moins de 25 ans, à la louche), incarnant trois étudiantes de l’université de technologie de Varsovie : Natalia (appelons-la No-Spice -vous allez comprendre-) est un petit génie de l’informatique, caricature de Geek qui non seulement n’a pas de relations avec le sexe opposé, mais qui, pire que ça, ne capte aucun signal à connotation drague / sexe. C’est simple, dans son monde, le sexe n’existe pas ; Paulina (prononcé Paolina et incarnée par la sublime Maria Sobocińska -ne faites pas attention, ce sont mes 50% d’ADN polonais qui s’expriment-), que j’ai affectueusement surnommée catho-spice, est une étudiante en chimie qui serait sans histoires si elle ne cachait pas à ses parents le fait qu’elle habite déjà avec son copain Mariusz (tristement prononcé Marius dans la VF, tsss…) alors qu’ils ne sont pas mariés, et que pire que ça, ils couchent déjà ensemble (mais le jeune homme, s’il est extrêmement gentil, est aussi du genre deux minutes, douche comprise, si vous voyez ce que je veux dire), ce qui fait que la jeune femme, catholique très pratiquante, est coincée entre la honte de contrevenir aux rigides conventions de la société polonaise et la frustration de ne ressentir aucun plaisir au lit; enfin, Monika, ma posh-spice, est une fille de millionnaire à qui son père coupe les vivres et qui est obligée de retourner vivre sur le campus et non pas dans son luxueux appartement à trois millions d’euros. Elle tente de se consoler de sa rupture avec son playboy d’ex-copain en couchant avec tous les garçons qui passent à sa portée, mais sans réussir à jouir, sauf quand elle regarde, pendant l’acte, une photo de son ancien Jules.

(anecdote marrante, j’ai vu une interview à la télé polonaise des trois actrices, et dans la vie réelle, no-spice est très posh-spice, et inversement ou presque. C’est très étonnant).

Arrivant à la fin de leurs études, les trois jeunes femmes doivent présenter un projet qui sera peut-être sélectionné par l’université pour concourir au niveau national. Natalia a patiemment mis au point une brillante appli pour smartphone devant améliorer la qualité du sommeil, mais celle-ci est qualifiée par son professeur de « pas assez sexy » (comprendre : pas assez intéressant pour le grand public, des investisseurs ou pour monter une start-up). Il rejette le projet, la condamnant à trouver en urgence un autre axe de recherche. Et qu’est-ce qui est plus sexy… que le sexe ? Aidée par son amie de toujours Paulina, et par Monika, la plus sexuellement active des trois, et de loin, qui emménage justement dans la chambre d’à côté dans le dortoir universitaire où vit Natalia, les trois jeunes femmes vont développer Sexify, une appli devant aider pas à pas les femmes polonaises à atteindre… l’orgasme. Si, si ! Bien sûr, des tas d’obstacles vont se dresser sur la route de nos trois Spice Girls, à commencer par Rafal, un camarade d’amphi jaloux et sournois, et un doyen ancré dans le passé et chez qui la découverte du Copulatorium (oui, oui !) monté par le trio pour recueillir des données passe fort mal !  😀

Réalisation, ton

Pour résumer, mère-la-vertu, passe ton chemin. Sexify est une série déjà assez chaude pour un spectateur français, mais j’imagine que pour un polonais, elle doit être à 11 sur 10 sur l’échelle du torride : sexe assez explicite, interracial, homosexualité, fétichisme, godes, masturbation, tout y passe (mais je m’empresse de préciser que ce n’est jamais vulgaire). Histoire de vous situer la chose, voilà la chanson du générique de la série, dont des extraits (des gémissements de plaisir, pour être clair) ponctuent également régulièrement les épisodes :

Alors oui, c’est chaud, et c’est drôle et léger aussi, notamment quand ça joue sur le côté coincé de Natalia et de Paulina, placées dans les situations sexy les plus improbables, ou quand interviennent certains personnages secondaires qui le sont tout autant, au premier rang desquels se trouve Jabba, le type chez qui Natalia fait un petit boulot (on pourrait aussi citer la concierge du dortoir de l’université, les étudiants étrangers en Erasmus, ainsi bien entendu que le frère et la sœur tenant le sex-shop). Mais c’est très loin de se réduire à ça (même si c’est un peu tout ce que retiennent beaucoup de médias mainstream chez nous), comme nous le verrons dans la section suivante. Le ton n’est jamais vraiment grave, ce qui n’empêche pas que sont abordés des sujets très profonds et très sérieux. Car faire une série pareille dans un pays où en gros, le lobby LGBT et tout ce qui sort du carcan de la vertu chrétienne rase les murs tant il est l’objet d’une hostilité complètement inimaginable chez nous (ce qui est paradoxal dans un pays à la jeunesse très dynamique, notamment sur le plan artistique), c’est osé, mais c’est aussi courageux et très fort. Chapeau !

La réalisation est vive et de son temps, avec des insertions de SMS à l’écran (en polonais, mais sous-titrés) et une musique très moderne, dont de petits bouts ponctuent fréquemment les dialogues ou les péripéties, donnant à l’ensemble une impression très dynamique.

Thématiques

Sexify a du fond, et pas qu’un peu. Son excellent huitième épisode, concluant (provisoirement ?) la série le montre très bien, il résume, au travers du combat de trois jeunes polonaises, celui de toute une jeunesse pour s’affranchir du carcan d’une religion / morale omniprésente et toute puissante, d’un énorme fossé intergénérationnel (très bien illustré, principalement grâce aux familles de Paulina et de Mariusz) et d’une société fortement patriarcale n’accordant que peu d’importance au désir (dans tous les sens du terme) des femmes (Mariusz est bien gentil, mais à aucun moment, il ne semble se préoccuper du plaisir ressenti par Paulina, même s’il ne cherche visiblement que son bonheur, par ailleurs). Chacune des trois lutte aussi contre elle-même ou la pression qui lui est mise par d’autres : Natalia contre sa peur d’explorer son propre corps, son désir, ainsi que contre son histoire familiale, Paulina contre une sexualité alternative bridée, la peur de décevoir Mariusz et sa famille et d’aller à l’encontre des préceptes de sa foi, et Monika contre une relation toxique avec son ex, une autodépréciation mal-placée sur ses capacités intellectuelles (pourtant considérables, comme le montre une scène dans un amphi) et la peur permanente de décevoir son millionnaire de père, entraînant une réaction rebelle de rejet. Sans compter que contrairement à ce que l’on pourrait croire de prime abord, elle ne connaît en fait pas plus les moteurs de son propre plaisir que les deux autres !

Je suis allé vers cette série un peu par hasard, parce que j’ai vu qu’elle était polonaise et que forcément, vu mes origines, ça m’a intrigué (ça et l’image de présentation montrant Paulina en soubrette sexy  😀 ). Eh bien j’y ai découvert une histoire tour à tour drôle, touchante, profonde, surprenante, belle (et trois jeunes actrices formidables), et je ne regrette pas la balade, et ce monstrueux FUCK lancé à la face de tous les coincés du cul, de Pologne ou d’ailleurs. Faites qu’il y ait une suite, pitié !

2 réflexions sur “Sexify – Saison 1

  1. Je n’aurais sans doute jamais vu cette série sans ton article, et je t’en remercie vivement ! Je suis très peu séries « légères » car il faut aussi que j’accroche à leur humour et ambiance, ce qui n’est pas toujours gagné. J’ai beaucoup aimé la regarder, d’abord pour son côté léger et très dynamique avec une atmosphère bien à elle, mais aussi parce qu’elle concilie très bien cet aspect avec toutes les thématiques plus graves et plus profondes abordées au fil des épisodes, qui restent encore bien facilement taboues ou très discrètes, même en France… je ne connais que de loin le contexte polonais, mais de ce que j’en sais et de ton article, j’imagine aisément à quel point la série va à contre-courant là-bas avec tout ce qui est abordé ! J’ai aussi trouvé le jeu de tous les acteurs et les actrices géniaux dans leur rôle (mention spéciale à Natalia, mais les deux autres ne sont pas moins attachantes, au contraire). Le trio est très bien équilibré (entre le rationnel, la recherche d’un amour au quotidien jusqu’au mariage qui entraîne appréhension, et la liberté apparente mais qui repose sur des conflits familiaux/amoureux), par leurs visions de l’amour et de la féminité, entre rejet/indifférence, couple traditionnel et sexualité plus débridée, même s’il y a bien plus que cela. Le traitement du personnage de Paulina est admirable et surprenant, je m’attendais à la voir évoluer dans son couple et vaincre les problèmes avec son petit ami, mais je trouve que le changement de direction est vraiment bienvenu pour son personnage qui mérite de se découvrir de manière indépendante. Et entendre la VO était aussi très agréable ! Et plus que tout, quelle bienveillance, quel humour, une série qui n’émet aucun jugement ni ne cherche à faire pression (comme le frère tenant le sex-shop), qui clame haut et fort certaines choses rarement évoquées (la peur d’explorer son corps, les normes rigides de la société polonaises y compris quand on a tout pour être épanoui, comme Paulina…). J’espère aussi qu’il y aura une saison 2, ça a l’air officiellement en route. Un grand merci encore pour cette découverte, je serais totalement passée à côté sinon !

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